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Christophe Lavelle nous parle de la cuisine moléculaire

Christophe Lavelle cuisine moléculaireLa cuisine moléculaire, une cuisine techno-émotionnelle

Pouvez-vous nous parler de la cuisine moléculaire ?

La « cuisine moléculaire » est avant tout une expression bancale, source de nombreux malentendus, puisque c'est une cuisine qui n'a rien de plus « moléculaire » que toutes autres formes de cuisine. Entendons-nous bien : au départ fût créée la gastronomie moléculaire, comme « discipline scientifique consacrée à l'étude les phénomènes qui surviennent lors de la transformation et de la consommation des mets » (d'après la définition même d'un de ses co-inventeurs, Hervé This). En passant, la gastronomie ayant été elle-même définie deux siècles plus tôt par Jean-Anthelme Brillat-Savarin comme « la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l'homme en tant qu'il se nourrit », il est sans doute aussi pertinent (et historiquement juste) de paraphraser Brillat-Savarin pour donner une autre définition de la gastronomie moléculaire, qui serait alors « la connaissance raisonnée à l'échelle moléculaire de tout ce qui a rapport à l'homme en tant qu'il se nourrit ». Après, pour ce qui est de la cuisine moléculaire, que l'on pourrait identifier à la cuisine un peu futuriste que se sont mis à pratiquer certains chefs médiatiques à la fin des années 90, la question est plus délicate, car celle-ci n'a pas vraiment d'inventeur attitré, et tous les chefs qui ont contribué à sa popularité tentent plutôt, à juste titre, de se défaire de cette étiquette moléculaire, pour la remplacer par des expressions plus fleuries telles que cuisine techno-émotionnelle, déconstructivisme culinaire, cuisine d'avant-garde, etc.

Quel est votre lien à cette discipline ?

Il se trouve que je cuisine depuis aussi longtemps que je fais de la science, c’est-à-dire depuis tout petit, ce qui m'a tout naturellement porté, vers la fin des années 90, alors que je faisais ma thèse (en biophysique moléculaire, sur un domaine qui n'a rien à voir avec la cuisine), à m'intéresser à la gastronomie moléculaire, et plus généralement à tout ce qui touche de près ou de loin à l'alimentation (techniques culinaires, physiologie du goût, anthropologie de l'alimentation, etc.). C'est ainsi que j'ai été amené, ensuite, à monter un certain nombre d'enseignements universitaires autour de la science et de la cuisine, dans différentes filières (science, management, enseignement professionnel, etc.) et universités (Paris 6, Toulouse, Lyon, Cergy-Pontoise, Marne-la-Vallée, Marseille, etc.).

Comment vous est venue l’envie de travailler sur la relation entre l’art culinaire et la science?

Quand on s'intéresse autant à la science qu'à la cuisine, on tombe assez naturellement dans la gastronomie moléculaire ! Il se trouve, en outre, que mon parcours scientifique, principalement orienté vers la compréhension de la structure de nos cellules et de l'expression de nos gènes, touche à la fois à la physique, la chimie et la biologie, ce qui constitue les bases ad hoc pour tenter de comprendre ce qui se passe en cuisine. Après, il y a aussi bien sûr une affaire humaine, et ma rencontre avec Hervé This, il y a plus de 15 ans de cela, a clairement servi de catalyseur pour mon investissement dans cette discipline.
Il faut savoir qu'en tant que scientifique, on est atteint d'un syndrome assez singulier qui nous pousse à toujours vouloir tout comprendre (même si en réalité, on sait bien qu'il faut accepter de vivre avec de nombreuses questions sans réponse !). Du coup, je ne peux m'empêcher de réfléchir à l'origine des ingrédients quand je les achète, à la nature des réactions en jeu quand je les cuisine, et au devenir de ces aliments et leurs effets éventuels sur mon métabolisme et ma santé quand je les mange. Évidemment, dit comme ça, on pourrait croire que ça enlève un peu de poésie à la cuisine. Mais pas du tout, bien au contraire ! Je vous promets qu'imaginer comment la tomate pousse sur son pied, comment les protéines du blanc d'œuf s'étirent quand on fouette ce dernier, ou comment les triglycérides du beurre de cacao cristallisent quand on met au point le chocolat, n'entame en rien la poésie de l'acte culinaire !
Après, pour ce qui est de la cuisine moléculaire, je dois dire qu'elle ne m'intéresse ni plus ni moins que toutes autres formes de cuisine. Autrement dit, je suis tout autant intéressé à savoir faire (et comprendre comment fonctionne) un caviar de vinaigre balsamique qu'une sauce béarnaise ou un soufflé au Grand Marnier®.

cuisine moléculaire

Quel avenir voyez-vous pour cette de cuisine ?

Comme toute mode, la cuisine moléculaire est vouée à disparaître pour laisser la place à une autre mode ! Cependant, comme toujours dans ce cas, son passage aura laissé des traces, avec des techniques (comme la sphérification) et des outils (comme le siphon), qui sont aujourd'hui des classiques. En d'autres termes, on peut considérer que la cuisine moléculaire est morte car elle s'est en partie diluée dans le bagage commun, et a apporté sa contribution à l'évolution de la cuisine. Il en est de même de la nouvelle cuisine, tendance prônée par Gault et Millau dans les années 70, qui correspond tout simplement à ce que nous considérons aujourd'hui comme de la cuisine normale, parce que l'évolution qu'elle a suscitée à l'époque est maintenant passée dans les mœurs. Autrement dit, vive les espumas de champignons et les caviars de gingembre… faits maison !

Est-ce une cuisine accessible à tous ?

À part la partie « cryocooking », qui repose notamment sur l'utilisation, potentiellement dangereuse pour le manipulateur, de carboglace ou d'azote liquide, la cuisine moléculaire est évidemment accessible à tous puisqu'il s'agit avant tout de cuisine. Un peu de curiosité et une bonne maîtrise technique sont donc nécessaires comme pour n'importe quel autre type de cuisine ! La gastronomie moléculaire, par contre, reste bien une affaire de scientifiques, et demande donc une formation longue et spécifique.

Existe-t-il une/des formations reconnues qui mènent à ce métier ? Comment devient-on un professionnel de la cuisine moléculaire ?

Il n'y a pas à proprement parler de formation spécifique, puisqu'il n'y a pas de métier spécifique ! Un professionnel de la cuisine moléculaire est avant tout un professionnel de la cuisine ! En moins d'une heure, je peux apprendre à n'importe quel chef comment faire un sorbet à l'azote liquide ou une sphérification à l'alginate. Bref, si on sait cuisiner, en moins d'une journée, on a fait le tour des techniques moléculaires, donc l'affaire est vite réglée. Après, le travail d'appropriation des techniques est beaucoup plus long : savoir utiliser les gélifiants est facile, en faire quelque chose d'intéressant dans sa cuisine est une autre affaire.
cuisine avant gardisteAttention cependant, je ne parle ici que de la partie pratique. Maintenant, si on veut comprendre comment les techniques fonctionnent, là, oui, il faut y passer un peu de temps, et des formations existent, notamment pour les enseignants. C'est ainsi que je suis moi-même responsable à l'ESPE (École Supérieure du Professorat et de l'Éducation) de la formation scientifique des futurs professeurs de cuisine, dans laquelle sont inclues les connaissances de bases en gastronomie moléculaire (principaux constituants des aliments, réactions en jeu dans la transformation des ingrédients, physiologie du goût, aspects nutritionnels et environnementaux de l'alimentation), mais aussi la maîtrise des techniques dites moléculaires (travail au siphon, à l'azote, cuissons basse température, utilisation de texturants végétaux, etc.).

Pour quel type de client êtes-vous amené à travailler ?

Je suis universitaire, je travaille donc avant tout pour l'état, que ce soit dans le cadre des projets de recherche (mes activités étant principalement financées par le CNRS, l'INSERM et la COMUE Sorbonne Universités) ou dans le cadre d'actions de communications et de formations (pour les scolaires, les universitaires, le grand public, le milieu professionnel de la restauration, les enseignants). Après, il m'arrive bien sûr de discuter/cuisiner (j'ose à peine dire travailler) avec des chefs, mais sur un mode totalement informel et convivial !

Connaissez-vous des professionnels de ce domaine ? Des endroits pour tester la cuisine moléculaire ?

Il y a peu de restaurants que l'on pourrait qualifier de moléculaire en France. À Paris, Thierry Marx est sans doute le plus médiatisé, en province, il faut aller au Futuroscope (restaurant Le Cristal, au cœur du parc), où Noël Gutrin, un des précurseurs dans le domaine, a développé une carte qui fait, depuis plus de 20 ans, la part belle aux techniques moléculaires.

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