Juillet 2019 - Le programme Le Cordon Bleu Hautes Études de la Gastronomie se penche sur les divers aspects de l’alimentation et du goût. Pour mieux comprendre ce programme unique, dont la prochaine session se déroulera du 14 au 26 octobre 2019, nous vous proposons aujourd’hui d’en découvrir plus sur le cours portant sur le renouveau de la boulangerie française, enseigné par Jean-Philippe de Tonnac.
Jean-Philippe de Tonnac est écrivain, essayiste et éditeur. Son roman Azyme chez Actes Sud a obtenu le prix Ecritures et spiritualités 2017. Il est notamment l’auteur de René Daumal, l’archange (Grasset, 1998), avec Anne Brenon de Cathares, la contre-enquête (Albin Michel, 2008) ; avec Frédéric Lenoir de La mort et l’immortalité – Encyclopédie des savoirs et des croyances (Bayard, 2004) ; avec Roland Feuillas de A la recherche du pain vivant (Actes sud, 2017). Pour les amoureux de la grande cuisine, pour les gastronomes du monde entier, la France a toujours été regardée comme la Mecque du Pain et les Français comme des panophiles avertis. Les voyageurs qui traversaient le pays, à l’image de l’écrivain et paysagiste John Evelyn séjournant à Paris à la fin du XVIIe siècle, reconnaissaient n’avoir jamais goûté de pain aussi bon : « De l’aveu général, écrivait-il dans son journal, on mange [en France] le meilleur pain du monde ». Avis confirmé par Heinrich Eduard Jacob dans sa grande histoire du pain (1944) : « If the Egyptians had not invented bread four thousand years before Christ, the French nation would certainly have done. » Si les Français ne l’avaient pas inventé, s’ils n’en étaient même pas les plus grands consommateurs, ils étaient néanmoins couramment représentés affublés d’un béret et portant une baguette sous le bras.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale et jusque dans les années 1980, cette réputation est apparue pourtant largement surfaite. Pour faire face aux années de pénuries d’après-guerre, pour relancer l’activité agricole et économique, l’Etat fit le choix de réduire le nombre des moulins, de privilégier les grosses unités de production sur cylindres et d’encourager la sélection des blés garantissant la meilleure rentabilité à l’hectare. Blés de culture intensive, l’offre meunière répondait aux urgences de reconstruction et de développement au détriment de toute autre considération nutritionnelle et qualitative. Au sortir de la guerre, les Français avaient envie d’oublier le pain noir à la mie dense et compacte, le pain indigeste. Soutenus par leurs meuniers, les boulangers saisirent l’occasion pour imposer des farines raffinées, nutritionnellement très pauvres, « corrigées » par des améliorants, des pains vite levés, très volumineux, trop salés, ne nécessitant pas de préparation préalable. Le recours à la levure dite de boulanger et à la « méthode directe » eut pour conséquence l’abandon progressif des fermentations sur levain. Le cœur du métier, la constitution et l’entretien d’un levain, fut donc progressivement oublié.
A ce stade, le pain proposé par les quelques 50 000 artisans boulangers dans les années 1970, était indigne d’un pays gastronomique comme la France. Des personnalités appartenant à ce qu’on appelle en France la « filière blé-farine-pain », mais encore des journalistes, des intellectuels sonnèrent l’alarme. Une profonde remise en question s’engagea qui ne concerna dans un premier temps qu’un nombre limité d’artisans. Une famille de boulangers irréductibles émergea qui contesta méthodiquement un héritage agro-industriel responsable selon elle de la faillite d’une profession. Ce sursaut détermina ce mouvement de renouveau que Jean-Philippe de Tonnac se propose d’analyser durant son intervention.