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Entre champagne et science, rencontre avec Gérard Liger-Belair

Gerard Liger-Belair

Gérard Liger-Belair, professeur de physique et à la tête de l’équipe « Effervescence, Champagne et Applications » à l’université de Reims-Champagne-Ardenne est le seul chercheur au monde spécialisé dans la bulle de champagne. Il partagera ses découvertes et ses connaissances en intervenant lors du programme des Hautes Etudes de la Gastronomie en juin prochain, à savoir les processus en lien avec la formation des bulles, depuis l’élaboration d’un champagne jusqu’à sa dégustation. Il nous explique une partie de son métier et ce que les étudiants vont découvrir lors de son cours « Dynamique des bulles de champagne ».




Qu’est-ce qu’un chercheur dans la bulle de champagne ?
Bien que très attaché au monde du vin, je ne suis ni viticulteur ni œnologue, mais bien physicien de formation. L’observation des phénomènes naturels m’a toujours fasciné. Ils obéissent à des grands principes physiques mis à jour au cours des siècles derniers. L’effervescence du champagne et des vins effervescents ne déroge pas à cette règle. L’apparition et le mouvement des bulles obéissent à des équations, parfois complexes, qui permettent de prédire un certain nombre d’éléments essentiels en dégustation, comme le nombre de bulles produites, leur taille, leur vitesse ascensionnelle, la façon dont elles éclatent et dispersent les arômes du vin. Après une thèse de doctorat soutenue en 2001, j’ai d’abord obtenu un poste de maître de conférences à l’université de Reims en 2002, puis un poste de professeur en 2007. En 2012 j’ai décidé de créer, avec ma collègue Clara Cilindre (biochimiste de formation), une équipe spécifiquement dévolue à l’étude des phénomènes d’effervescence et de mousse dans le domaine des boissons à bulles au sens large (avec comme application phare, l’effervescence des vins de Champagne).


Vous allez intervenir dans le cours « Dynamique des bulles de champagne », pouvez-vous nous expliquer ce que les étudiants vont découvrir ?
L’objectif est de faire avec les étudiants une dégustation de champagne virtuelle, sous l’angle de la science, depuis le débouchage de la bouteille jusqu’à l’éclatement des bulles dans votre verre, à l’aide des résultats scientifiques que nous avons obtenus depuis une vingtaine d’années. Durant ce cours d’1h30, je dresserai un panorama, aussi exhaustif que possible, des phénomènes à l’œuvre et du rôle joué par le gaz carbonique dissous et les bulles lors de l’élaboration et de la dégustation d’un vin de Champagne. 


Selon vous, qu’est-ce qui fait le succès du champagne en France, et dans le monde ?
De mon point de vue, le succès du champagne est d’abord lié à son effervescence puisque c’est ce qui le distingue des vins tranquilles. Son succès repose aussi sur deux points complémentaires. D’une part, nous produisons du vin avec des bulles en Champagne depuis plus de trois siècles maintenant. Ce qui fait que nous avons du recul et profitons de l’expérience des hommes, de leur travail pour en faire un produit d’exception. D’autre part, le terroir est tout aussi important. Le climat champenois, son sol et son sous-sol possèdent les caractéristiques requises pour élaborer de très grands vins effervescents. Cela dit, on peut trouver aussi de très bons vins effervescents ailleurs dans le monde.


Comment reconnaitre un bon champagne ?
Voilà une question très complexe, à laquelle j’ai beaucoup de mal à répondre en fait. Ce qui peut être considéré comme un grand champagne pour moi, peut ne pas l’être pour une autre personne dont la sensibilité, les goûts et les préférences diffèrent. Il existe une infinie diversité de vins de champagnes selon le cépage ou l’assemblage des cépages choisis par l’élaborateur, la diversité des vins de réserve à disposition pour intégrer les assemblages, la provenance géographique des raisins, la qualité de la vendange et l’effet millésime, etc.
La dégustation d’un vin effervescent est très « multifactorielle », encore plus que pour un vin tranquille. Le vin effervescent possède une dimension supplémentaire apportée par le gaz carbonique et donc les bulles… De plus, au-delà des qualités intrinsèques du vin lui-même, le choix du verre est essentiel. Le verre demeure un acteur indéniable du plaisir de la dégustation. Il peut magnifier un vin ou l’empêcher de donner le meilleur de ce qu’il a à exprimer si ses caractéristiques géométriques sont mal adaptées au choix du vin. Pour ma part j’aime les champagnes qui ont eu le temps de vieillir. Les arômes empyreumatiques s’y sont développés, et le gaz carbonique est un peu moins présent, ce qui permet à l’effervescence d’être plus fine, plus subtile. Et puis comme pour le vin et les plaisirs de la bouche en général, il est essentiel de partager un bon champagne en bonne compagnie. Le plaisir en sera décuplé. Pour apporter néanmoins un élément de réponse à cette question, selon moi, on ne fait pas de grand champagne sans une matière première irréprochable. Pour qu’un champagne soit bon, il doit avoir été élaboré à partir de raisins sains.


Sur quel sujet travaillez-vous en ce moment ?
Nous travaillons avec mon équipe sur plusieurs sujets, mais celui que l’on mène depuis quelques années déjà porte sur la forme des verres à dégustation, et plus exactement l’influence de la géométrie du verre et des divers paramètres de la dégustation sur l’effervescence et l’échappement du gaz carbonique et des arômes dans l’espace de tête du verre. Il y a 25 ans, la flûte étroite et longue était à la mode. Force est de constater qu’elle n’est finalement pas du tout adaptée à la dégustation optimale d’un vin de Champagne. Aujourd’hui, on va vers des verres plus évasés, avec un espace de tête plus généreux qu’il y a quelques années. Et il y a des raisons objectives à cela. D’ailleurs, de plus en plus de maisons de champagne nous sollicitent pour élaborer leurs propres verres. C’est le cas de Moët & Chandon avec qui nous avons récemment collaboré pour l’élaboration de leur verre signature.
Nous travaillons aussi sur la thématique des arômes au sens large. Ils évoluent considérablement au fil du vieillissement par exemple. Nous cherchons notamment à savoir lesquels seront les mieux perçus par le dégustateur suite au ballet des bulles qui éclatent à la surface du verre. 
Nous nous sommes aussi intéressés au « gerbage », ce phénomène qui consiste en la production excessive de bulles et de mousse à l’ouverture de la bouteille. Lors de son débouchage, une bouteille peut perdre plus de la moitié du volume de champagne sous la forme d’un puissant jet de mousse, ce qui est bien contrariant pour le consommateur. 


Que souhaitez-vous transmettre aux futurs étudiants du programme HEG ?
Mon objectif est de faire comprendre aux étudiants qu’une dégustation de champagne éveille tous les sens. Grâce notamment à l’imagerie haute-vitesse qui a fait des progrès vertigineux au cours des dernières décennies, je souhaite leur faire comprendre les grands principes scientifiques et les processus à l’œuvre lors de l’élaboration et de la dégustation du champagne. Ils ne regarderont probablement plus tout à fait de la même façon leur flûte de champagne après ce module. 
Bon voyage au cœur de l’effervescence !

 

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